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La spécificité du sacré en terre Sakalava

 

            Une fois les jalons du sacré posés dans son opposition au profane, notre travail fut de nous intéresser à la spécificité du sacré dans la culture malgache.

 

            Cette étude est complexe car il faut bien avoir à l’esprit que la vie religieuse malgache semble s’articuler autour de trois pôles antagonistes : l’organisation traditionnelle du sacré (celui des ancêtres), le christianisme missionnaires dans ses versions catholiques, protestantes ou anglicanes et le culte de la possession du tromba.

 

            Le rituel sakalava est avant tout existentiel et le sacré fait intégralement partie de la vie des Sakalava, tant la vie individuelle, familiale, économique que sociale.

Le culte englobe tous les aspects de la vie individuelle et tout ce qui fait la vie de la communauté. Cet aspect explique en partie la souplesse d’organisation dans le calendrier des cérémonies qui doivent intégrer les instructions du devin ou de l’astrologue, la dynamique rituelle et la dimension religieuse.

Ainsi le culte sakalava est un mélange organisé de profane et de sacré.

 

Ce que l’on peut retenir cependant dans la pratique du sacré, c’est :

-le caractère oral et actif du rite d’invocation des ancêtres « joro » : la parole est importante et s’associe à des actes et des gestes corporels

-le caractère ludique et festif du rituel 

-le caractère thérapeutique des rites : l’importance des fady (interdits, tabous ou abstinences) est mise en évidence dans la culture malgache par un certain sens de la faute, de la culpabilité et du mal. Cet aspect n’est pas simplement négatif car les Sakalava n’ignorent pas la réparation, le repentir et la restitution. D’où l’importance de la purification et du don dans le rituel, sous toutes ses formes. Ce respect collectif des interdits permet de fédérer et d’unifier la communauté des Sakalava.

 

 

Organisation et vision du cosmos chez les Sakalava

 

            Le cosmos englobe le monde visible et invisible. Une relation permanente unit le monde des humains, des ancêtres et de la divinité. Le passage symbolique de l’un à l’autre s’opère par les rites de possession, appelés tromba, et les rites d’invocation, appelés joro.

Dans chaque village Sakalava, les esprits sont présents : les mythes les révèlent, les gens les relatent, les coutumes les évoquent et les rites les célèbrent. Trois forces surnaturelles composent cette présence sacrée : les ancêtres ou razana, les génies ou tiny et les divinités ou zanahary.

Les rites d’invocation ou joro peuvent s’adresser indifféremment à l’une des trois entités ou aux trois contrairement aux rites de possession ou tromba qui ne s’adressent qu’aux ancêtres de catégorie supérieure ou aux génies.

 

 

 

Manifestations du sacré

Composition du monde « invisible » et l’Arbre cosmique

 

            Chez les Sakalava, les ancêtres constituent la première puissance qui habite le cosmos et avec laquelle les hommes entretiennent une grande familiarité et un rapport permanent grâce aux rites d’invocation. Les ancêtres se répartissent eux mêmes en trois catégories : les ancêtres royaux, qui s’incarnent dans les médiateurs (saha), les ancêtres simples qui ont le don de métempsychose dans un animal ou une plante et enfin les ancêtres qui errent, n’ayant pas reçu de cérémonie d’acheminement, et qui s’apparentent aux fantômes.

            Les génies se répartissent en quatre catégories : l’eau, le feu, la terre et l’air et chacun comporte une double valence positive et négative, bénéfique et maléfique.

Les plus connus sont les génies des eaux ou rano qui habitent les grosses vagues, daroba, et sont bleus s’ils appartiennent à l’océan et deviennent verts à mesure qu’ils se rapprochent du rivage. Les lolorano sont considérés comme maléfiques alors que les zavavirano (ondines) sont bénéfiques.

Les génies du feu sont rouges, possèdent des accointances avec le soleil, le sang et le pourpre. Ils sont appelés setoany ou mahamay.

Les génies de la terre sont de couleur noire. On distingue les kalanoro ou kananoro qui sont des nains bénéfiques et connaissent les lieux des gisements d’or caché ; et les boribe ou grand zébu qui sont maléfiques et portent le nom générique de hianan draha.

Les génies de l’air, zana kiana, sont de couleur blanche. Dans la culture Sakalava, les albinos sont engendrés par les génies de l’air et ces génies habitent les tourbillons du vent avec les ancêtres.

Tous ces génies peuvent s’incarner dans une personne : si le tromba a une mauvaise influence, il fera souffrir et infligera des maladies.

 

            Un autre élément est essentiel dans la présence du sacré chez les Sakalava, le roi des Arbres ou arbre aux charmes de vie. Cet arbre cosmique, planté au centre du monde, établit des liens entre les génies des airs et de la terre.  Les images terrestres de cet arbre cosmique sont précises et répertoriés ; on trouve parmi elles le madiro (Tamarinus indica), le mandresy (Ficus megapoda Baker), le ramy (Canarium boivini), le fano (Piptadenia chrysostachys), le hasiny (Dracoena reflex), le maudrorofo (Trachylobium verrucosum) et le sikidy (Entada abyssinica). Ces arbres permettent de matérialiser l’axe cosmique qui relie la terre, tany, et le ciel, lanitry et qui facilitent la communication entre le monde visible et invisible, déployant leurs branches aux quatre points cardinaux.

 

Rites, sacrifices et offrandes

 

            Le culte sakalava comporte l’offrande, les invocations et le « contrat » et se fait en présence d’un officiel du sacré (saha) et dans un cadre socialisé. En effet, la communication chez les Sakalava entre les dieux et les hommes se fait par un « intermédiaire », pièce charnière de cette communication. Ce médiateur, appelé saha, est sollicité pour satisfaire les désirs et les besoins de l’individu : il incarne à la fois les hommes et les dieux.

Trois termes clés permettent donc d’aborder l’analyse du sacré :

-Tromba qui signifie « le médium », mais aussi « la cérémonie de transe individuelle et collective, et enfin « l’esprit qui élit domicile »

-Joro qui se rapporte aux « rites d’invocation »

et

-angano qui renvoie aux contes, légendes, mythes autour du sacré

 

Avant de s’incarner dans un medium, les esprits se trouvent sur l’arbre cosmogonique.

Puis, dans les rites de possession, les différents « esprits » vont se présenter de la même manière, c’est à dire qu’ils vont investir le medium selon les mêmes manifestations qu’ils soient ancêtres, génies ou divinités.

 

            Les médiums ou possédés pourront être de deux sortes selon les esprits qui les « habitent : les esprits bénéfiques rendent le médium reconnu et véritable et les esprits maléfiques transforment les hommes en fous, psychologiquement instables.

L’esprit qui habite le médium est la plupart du temps de sexe opposé afin de reproduire ainsi la gémellité primordiale. Cet esprit peut être un ancêtre royal qui revit dans « l’initié », un génie qui veut changer de nature ou répondre à l’invocation des hommes.

Les rites de possession ou tromba consistent à invoquer les génies afin qu’ils s’unissent au medium, saha, par des liens sacrés comme ceux du mariage (avec des termes de contrat, des fady à respecter).

Dans la théorie cosmogonique des Sakalava, le monde a reçu la vie grâce à deux mouvements de sens inverse et, de la même manière, les mediums exécutent des danses qui reproduisent ces mouvement primordiaux : ascendants, descendants ou en tournoyant sur eux-mêmes en fonction des esprits qui s’incarnent en eux.

Ce mariage du « possédé » et du tromba reconstitue en définitive le sacrifice primordial.

 

            Certains accessoires constituent des élément essentiels du sacré qu’ils participent aux différents rites ou constituent les offrandes faites aux ancêtres. Par exemple, le kobain tromba ou bâton sacré de l’esprit joue un rôle de premier plan dans les rites ; de même les prescriptions des remèdes, aody, sont directement liées au mythe de l’arbre aux charmes de vie.

La plupart des esprits exigent également des bains rituels avant et après les rituels sacrés et le rhum, le sang et le miel sont considérés comme les boissons et aliments privilégiés de la quasi totalité des esprits.

Enfin, les différentes cérémonies se célèbrent devant le tony, autel des ancêtres, face aux lieux sacrés et exigent des hommes un rituel de passage dans l’enceinte du sacré, marqué par le port d’un lamba oana et les pieds nus.

 

Les tromba (esprits) et les tiny (génies) constituent véritablement, dans la culture malgache populaire, des énergies cosmiques qui expliquent l’arbre cosmique, mais également la possibilité pour les dieux de résoudre les problèmes humains. Le medium est celui qui guérit et qui remet le monde en ordre

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© 2015, by Muriel Malus

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